jeudi 17 janvier 2013

Les dégradations des cours d'eau


La restauration des cours d’eau, 2ème partie

Aujourd’hui, suite de notre série d’articles concernant la restauration des cours d’eau.

Nous avons vu dans la première partie ce qu’est un cours d’eau présentant un bon fonctionnement. Aujourd’hui nous allons voir ce qu’est un cours d’eau « dégradé ». Bien entendu, je ne vais parler que des dégradations physiques et non pas des dégradations chimiques. Toutefois,  les deux sont parfois étroitement liées et une dégradation physique est bien souvent la cause d’une dégradation de la qualité chimique.

Cet article sera bien plus une leçon d’histoire qu’une approche de l’hydrobiologie.  Les dégradations physiques découlent d'aménagements et de remaniements de cours d’eau par l'homme. La plupart datent d’un temps… que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître ! Et bien plus encore… 

On considèrera qu'une dégradation est une modification par rapport au fonctionnement à l'état naturel.  

Quelles sont les grands types de dégradations et quelles en sont les conséquences ?


1. Les types d'aménagement 

Il est difficile de dresser une liste exhaustive des aménagements qui ont pu être réalisés. Il en existe de grandes catégories mais aussi une multitude d’aménagements localisés, parfois effectués de manière très artisanale. Les plus courants sont les suivants :

  • Dragage : approfondissement du lit
  • Canalisation : bétonnage des berges et parfois du fond
  • Endiguement : augmentation de la hauteur des berges pour éviter le débordement des eaux
  • Rectification du cours : recoupement des méandres, raccourcissement de la longueur du cours d’eau.
  • Recalibrage : augmentation de la capacité du lit en modifiant sa profondeur et sa largeur.
  • Barrage : pour utiliser la force hydraulique ou pour stocker de l’eau
  • Création de chenaux : pour alimenter les moulins ou pour l’irrigation
Notons que l’extraction des matériaux du lit, qui n’est pas un aménagement en soit, a eu des conséquences directe sur la qualité physique des cours d’eau. 

Les objectifs, lors de ces aménagements, étaient alors jugés comme légitimes : protéger des inondations, faciliter la navigation, alimenter en eau potable, créer de l’énergie…. Mais ils ont longtemps été réalisés avec une connaissance très partielle des fonctionnements hydrologique et écologique des systèmes fluviaux… Et pour cause, c’est au cours des deux dernières décennies que les connaissances en la matière ont réellement évolué. 

2. L'histoire des aménagements

2.1. Remembrements
Comme je le disais, les aménagements et modifications des cours d’eau sont parfois très anciens. Dès l’occupation romaine un remembrement a été effectué afin de maîtriser l’espace (pour établir une sorte de cadastre, pour mieux valoriser les routes etc.) et pour réaliser les voies romaines.Le remembrement peut générer toute sorte d'aménagement tel que recalibrage, canalisation et rectification du cours.

On observe aussi de fortes  modifications des cours d’eau dans le cadre de l’urbanisation :

Hypothèse d'un détournement de la Meyne à Orange (Vaucluse) dans l'Antiquité


Pour vous documenter sur les grands aménagements hydrauliques à l’époque romaine, voici une étude géo-archéologique de Cécile Allinne http://geomorphologie.revues.org/674 

Les revues historiques parlent aussi de grands remembrements au moyen âge puis en 1707 en Bourgogne. Par la suite, ils se généralisent, avec le soutien des pouvoirs publics. Plusieurs lois instaurent le remembrement au cours du XXème siècle  avec une forte intensification de 1960 à 1980. Environ 15 millions d'hectares ont été remembrés à ce jour en France. 

2.2. Barrages  
La construction de barrages est une activité très ancienne : les premiers ouvrages connus remontent à 5 000 ans et se situent au Proche-Orient. Elle n’a cessé de se développer depuis. Au XXe siècle, les choses s’accélèrent et surtout la hauteur des barrages qui est parfois pharaonique. Le dernier exemple en date concerne la construction du plus grand barrage du monde, en Chine. Edifié sur le fleuve Yangtzé, le barrage des trois gorges atteint une hauteur de 185 mètres et mesure 2.305 mètres de long. Achevé en été 2012, son lac de retenue s’étend sur 600 kilomètres !

 Photo tirée de l'article du point concernant 3 gorges : http://www.lepoint.fr/actualites-monde/2008-05-15/le-barrage-des-trois-gorges-symbole-de-la-puissance-chinoise/924/0/245903 

On recense à l’heure actuelle sur notre planète près de 36 000 barrages de plus de 15 mètres de haut, et l’on continue de construire quelque 500 barrages par an. Selon une étude suédoise, en 1994, 77 % des volumes d’eau charriés par les 139 grands bassins fluviaux de l’hémisphère Nord transitaient par des barrages, canaux ou dérivations. En France, on compte 522 barrages de plus de 15 mètres de haut.

Le référentiel ouvrage compte à ce jour plus de 60 000 aménagements en cours d'eau (barrages, seuils etc).

2.3. Endiguement
Les premières preuves d'endiguement permettant d'éviter les inondations datent là encore de l'époque romaine. Nous connaissons tous des secteurs où les berges ont été surélevées (merlon) permettant de contenir les débordements. 

Là je prendrais un exemple plus près de chez moi : La levée de la Loire.  Les premières traces de cette levée date du 12ème siècle. Ensuite, au fur et à mesure de crues parfois très destructrices, elle a été élevée. 




La levée de la Loire fait à présent plusieurs centaines de km (70 km dans le département du Maine et Loire). 

2.4. Dragage
Durant la seconde moitié du XXe siècle, la réalisation de grands projets d’équipement a nécessité l’emploi d’énormes quantités de matériaux granulaires : des sables et des graviers utilisés pour le terrassement ou la préparation des mortiers et bétons. Ceux-ci ont été extraits du lit des rivières. L’exploitation a été intensive et certaines rivières se sont vues transformées en de véritables carrières. 

Dans le bassin de la Loire, par exemple, le volume des matériaux extraits des cours d’eau atteignait 12 millions de tonnes par an à la fin des années 1970, contre 150 000 tonnes vers 1860.
 
 3. Conséquences des aménagements 
 
Là encore, la liste n'est pas exhaustive et peut-être complétée mais voici une première approche du types d'impacts fréquemment observés. Ces aménagements modifient de façon durable les composantes physiques des cours d’eau :
  • pente,  
  • vitesse du courant,  
  • substrats  
  • forme des berges,  
  • profondeur, 

Ils ont donc des répercussions sur le fonctionnement des écosystèmes qui ne sont pas toujours prévisibles à long terme. En général ils induisent une diminution de la diversité naturelle des habitats et des espèces présentes. 

En outre, l’enfoncement du lit d’un cours d’eau abaisse le niveau de sa nappe d'accompagnement. Les conséquences sont alors directes sur les boisements de berges mais aussi globalement sur la ressource en eau pour les populations et pour l’agriculture par exemple. Mais aussi une disparition des zones humides à proximité.




La modification discontinue et importante du débit induit une modification des habitats. Elle crée des conditions de stress dommageables pour les biocénoses aquatiques. Le fonctionnement intermittent assèche des surfaces très importantes de frayères effectives de certaines espèces de poissons (salmonidés surtout).

Les curages causent le plus souvent des déficits de la charge solide en aval. Le cours d'eau ne peut alors retrouver son équilibre qu'en modifiant sa pente, ce qui se concrétise par une incision c'est à dire un surcreusement du lit.

 
Dans le cadre de la Loire, avant la mise en place de la levée, les écrits anciens décrivent la rivière comme une rivière à tresses. La plaine en rive droite de la Loire n'était alors pas du tout habitée. La modification de la morphodynamique de la rivière est aujourd'hui étonnante, on ne peut absolument plus deviner à quoi elle ressemblait initialement. Mais surtout, le fait de contenir les crues génère souvent des inondations plus importantes dans les secteurs non protégés ou  encore des catastrophes importantes lorsque tout le débit ne passe que dans une seule brèche. La vitesse de courant est alors localement extrêmement forte .  

Ci - après une lithographie d'une brèche dans la Loire lors de la crue de 1856. 160 brèches avaient été dénombrées. L'impact terrible de ces brèches lors des grandes crues n'a pourtant que conforté l'idée générale d'une nécessité des digues ...  


Pour ce qui est des dragages, les impacts directs sont l'augmentation de la turbidité (dommageable aux poissons notamment) et un appauvrissement de l'habitat. De plus ils ont un impact sur l'équilibre sédimentaire et le transport solide. Explication avec la balance de Lane :

  
"Le principe de la dynamique fluviale peut donc être représenté comme l’oscillation permanente de l’aiguille d’une balance dont l’un des plateaux serait rempli de sédiments grossiers (variable Qs), et l’autre d’eau (variable Q). Les quantités respectives et les rapports de ces deux éléments étant extrêmement fluctuants (à l’échelle de la journée, de l’année, du millier d’années), il s’ensuit un ajustement permanent de la morphologie du cours d’eau, autour de conditions moyennes, par le biais des processus d’érosion-dépôt." (Jean-René Malavoi et Jean Paul Bravard « Éléments d’hydromorphologie fluviale"). 

Par conséquent, une modification des sédiments peut engendrer une érosion plus forte dans d'autres secteurs pour combler un déficit.  

4. Et les aménagements appellent les aménagements ... 

En effet, parfois les conséquences d'un aménagement sont elles-même à l'origine de nouveaux aménagements. Les digues appellent les digues ... Sur l'Isère, de grands travaux de remembrements ont eu lieu en 1860, qui ont généré un  relèvement du niveau des embouchures des canaux d’assainissement et la "nécessité" de rehausser encore les digues. L’endiguement généralisé de l’Isère et le rétrécissement de son cours à une largeur de 100 mètres environ (contre près d’un Km auparavant !) ont empêché progressivement la rivière de répandre dans la plaine les matériaux charriés lors de ses crues. Le niveau du fond de son lit s’est donc surélevé petit à petit, rendant les risques de débordement de plus en plus importants, notamment à l’entrée de l’agglomération grenobloise où la pente s’adoucit et où les matériaux se déposent donc plus.  

Pour enrayer l’engraissement du lit de l’Isère à l’entrée de Grenobloise, le méandre du Bois Français a été supprimé en 1968. L’idée était d’accentuer la pente et donc les débits pour éviter le dépôt de sédiments. Mais la coupure de la boucle du Bois Français ainsi que les prélèvements de graviers utilisés pour la construction ont entraîné un surcreusement du lit de l’Isère qui s’est propagé vers l’amont. Il s’est traduit par une déstabilisation des berges à l’origine d’un déchaussement d’ouvrages en place, notamment deux ponts en 1979 et 1981. Le reportage ci après résume bien tout ça.



En conclusion :
    Aujourd’hui, moins de 20 % des rivières européennes sont dans leur état physique naturel.

Avec ce constat,  est-il possible de restaurer et comment ? C'est la question que je traiterai dans le 3ème opus...

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