mercredi 23 janvier 2019

Barrage de Poutès, quel avenir ?

Hier, dans le cadre d'une commission de l'Agence de l'eau à laquelle je siège, j'ai eu l'occasion de discuter avec Bernard ROUSSEAU, président d'Honneur de France Nature Environnement - Administrateur de l'Agence de l'Eau Loire Bretagne et Membre du Comité National de l'Eau.

L'enquête publique à propos de la reconfiguration du barrage "nouveau Poutès optimisé" s'est terminée le 28 décembre 2018 et M Rousseau a accepté de me donner une copie de la déposition qu'il a faite. Cette déposition fait 9 pages, elle est extrêmement complète et référencée. B Rousseau présente une partie de l'histoire de Poutès dans la première partie de son document et je vous propose aujourd'hui de la retranscrire de manière synthétique (5 pages à l'origine)  Toutes les données ont été recherchées et rédigées par Bernard ROUSSEAU, je m'en fais uniquement le porte-parole aujourd'hui et ne m'attribue pas ce travail colossal. J'ai juste condensé le document. Dans la seconde partie, je vous résume les éléments clefs de la contribution effectuée par B. ROUSSEAU à l'enquête publique.

Déjà pour ceux qui ne connaisse pas le projet de "nouveau barrage" vous pouvez aller sur ce site http://www.nouveau-poutes.fr/fr/vers-le-nouveau-poutes/le-barrage-actuel
Les photos affichées ici sont celles de ce site.

Poutès est un barrage hydroélectrique de 17,7 m barrant la rivière "Allier", un axe majeur pour la conservation du Saumon Atlantique.

1. Un peu d'histoire

Sans refaire l'histoire de Poutès, il est utile de rappeler que la préoccupation pour la survie de la souche saumon de l'Allier n'est pas récente. 

1930 : L'administration des Eaux et Forêts bataille contre l'installation de Poutès Monistrol. Elle fait remarquer en 1931 : "que l'inutilisation des frayères en amont de Poutès-Monistrol entrainera une réduction des deux tiers de la reproduction naturelle du saumon, car elles sont les plus nombreuses et les plus favorables"

C'est alors que la séquence "eviter-réduire-compenser" s'est invitée dans le débat, bien avant le Grenelle. Mais aucune solution d'évitement ou de réduction n'est proposée, uniquement un compromis en guise de compensation : comme les saumons sont privés de leurs meilleures frayères, il est proposé d'en fabriquer dans une pisciculture à Brioude comme "compensation". EN 2018, une pisciculture existe toujours, celle de Chanteuges. 

Avant 1900, la population de saumons était impressionnante, estimée par Guy Thioulouse entre 50 000 et 65 000 individus par an. C'est l'abondance de la mer... à la montagne !

Après 1941, avec l'édification de Poutès, l'âge d'or du saumon touche à sa fin. La pénurie s'installe avec, de plus, d'autres facteurs limitants comme la pollution de l'eau, les obstacles sur l'axe Loire Allier, le bouchon vaseux de l'estuaire, la dégradation de la mer etc.

En 1986, pour franchir Poutès, un "ascenseur" à poissons est installé sans que cela provoque une augmentation significative des effectifs.

Vers 1995, seulement quelques centaines de saumons sont observés à la passe à poissons de Vichy.

Dès 2004 : le renouvellement de la concession de Poutès s'annonce avec l'opportunité de revoir les conditions de circulations du saumon. Est pointée du doigt l'absence d'évaluation coût / bénéfice pour les différents scenario et notamment la non intégration des coûts environnementaux et les crédits engagés par l'Europe pour financer les programmes de restauration du saumon Loire Allier (Plan Loire, LIFE, etc)

2006 : Le dossier d'enquête publique ne présente aucune alternative au barrage existant

Juillet 2009 : Rapport Jean-Claude Philippart, commandé par le MEEDDAT : "expertise saumon - barrage Poutès". Il fixe les contraintes appliquées au barrage de Poutès Monistrol pour la pérrénité de la souche saumon de l'Allier dont les meilleures frayères sont en amont de Poutès, à 850 km de l'estuaire. 
P 107 du rapport : "il faut absolument être assuré que les contraintes diverses révélées lors d'une telle étude approfondie ne conduiront pas à la construction d'un barrage plus élevé que 2 m, ce qui ne serait pas une solution acceptable pour maintenir une production de saumons sur la branche Allier du site de Poutès Monistrol"

En 2011 : EDF reconnait qu'une alternative est possible (mais non souhaitée...). En lieu est place du barrage de 17,7m, un barrage de 4 m de haut tout en conservant 66% de la production d'hydroélectrique (30 GWH contre 45 GWH). Cette option implique la déconstruction partielle de l'ouvrage ancien. Madame Kosciusko-Morizet, alors ministre de l'écologie présente officiellement le projet avec un barrage à 4 m mais avec un renouvellement de concession porté à 50 ans et non plus 40.

Mars 2016 : Le dossier Poutès est présenté en commission "interventions" du conseil d'administration de l'Agence de l'eau Loire Bretagne.  Nouveau barrage : 5m de hauteur avec un dénivelé amont/aval de 3,9 m qui placerait le niveau de la retenue 3 m sous la partie supérieure de la prise d'eau qui alimente l'usine par voix souterraine. Des supresseurs seraient mis en place pour compenser ces 3 m. Le projet est élaboré dans un esprit gagnant / gagnant. L'observation des saumons sera possible dans la chambre de vision de la passe à poissons. LE vote du CA de l'Agence de l'eau est acquis. Les travaux devront commencer le 15 juin 2016

15 juin 2016 : L'Agence de l'eau apprend par la presse qu'EDF ajourne le projet. Le PDG d'EDF annonce que les travaux sont reportés et s'étaleront, non pas sur 3 ans mais sur 6 ans, du fait de la baisse des prix de l'électricité sur le marché en regard du coût des travaux estimés à 24 millions d'Euros. Il semblerait alors qu'EDF cherche à remplacer les surpresseurs par des siphons, moins couteux (rappelons qu'un représentant d'EDF est membre du CA de l'Agence de l'eau). 

1er juin 2017 : le nouveau Poutès est présenté par des ingénieurs d'EDF à la commission de l'Agence. Le projet présente le dispositif innovant de siphon permettant de conserver 85% de la production. Le reste des équipements semble inchangé. Le projet est adopté par la commission.

22 juin 2017 : Suite à la commission, le conseil d'administration se réunit. Un nouvel accord de programmation est signé entre l'Agence de l'eau et EDF

18 juillet 2017 : Nouveau coup de théatre : EDF rencontre la DREAL de bassin pour lui présenter un autre projet qualifié de "Poutès optimisé" de ...  7,1 m ...

Octobre 2017 : EDF abandonne l'accord de programmation qui avait été signé et opte pour le "Poutès optimisé" ce qui entraine la modification de la concession accordée en juillet 2015

29 décembre 2018 : le dossier de "Poutès optimisé" revient donc encore devant la commission du CA de l'Agence de l'eau Loire Bretagne pour préparer la future commission des aides et le passage devant le CA de mars 2019. 3ème acte donc. La note technique de l'enquête publique date quant à elle de février 2018.

Si vous souhaitez d'autres dates qui concernent les grands plans en faveur de la biodiversité et du saumon, suivez ce lien : https://www.ern.org/fr/poutes-barrage-archive/

2. L'enquête publique


Quelques éléments

Barrage de 7,10 m, clairement en contradiction avec le rapport Philippart et sa recommandation à 2 m maxi.
Alimentation de la prise d'eau sans surpresseur ni siphon : réduction substantielle des coûts du projet.
Les deux vannes situées au centre du barrage pour l'évacuation des sédiments seront amenées à jouer un rôle qui n'était pas annoncé dans les projets précédents : permettre la circulation des migrateurs.
L'ouvrage est totalement transparent 91 jours, en mai, septembre et octobre

Bernard ROUSSEAU alerte sur : 
- l'incohérence d'une transparence du barrage à des périodes qui ne sont pas celles majeures dans la montaison du saumon de l'Allier (novembre / décembre).
- la fin de la transparence signifie que les vannes sont baissées, le plan d'eau remonte. La partie amont de Poutès sur 400 m perdra son caractère de rivière avec ses radiers et si le saumon y a commencé sa reproduction, les frayères seront perdues. Idem en aval avec le passage brutal à un débit réservé. 

- l'importance de la souche de Saumon de l'Allier, quasi unique qui pourrait finir par disparaître alors que les KwH eux, sont interchangeables.
- une position de EDF qui laisse entrevoir une problématique économique réelle quant à la rentabilité de Poutès. En effet, le rapport indique qu'EDF renseigne sur la démarche de la manière suivante : " il était notamment nécessaire de concevoir une solution dont le coût et le bilan économique permettent de justifier l'intérêt de la concession".

C'est encore un combat de l'économie contre la biodiversité, un combat que la biodiversité perd presque toujours. 

France Nature Environnement, comme d'autres associations était favorable au projet de 4 m présenté en 2016. Mais ce barrage optimisé de plus de 7 m de haut ne fais plus l'unanimité et génère une forte opposition. En conclusion Bernard Rousseau s'oppose à cette réalisation et demande l’arasement de Poutès.

J'en profite pour vous donner le lien vers la contribution à l'enquête publique remise par l'association ANPER - TOS et dans laquelle figurent de nombreux autres éléments intéressants : http://anper-tos.fr/wp-content/uploads/2018/12/ANPER-Poutes-enquete-publique-dec-2018-VF.pdf


Enfin, voici la passe à poissons proposée pour le nouveau Poutès "optimisé" (à ce stade, il est utile de rappeler que l'objectif principal de la modification du barrage actuel est de simplifier la montaison du saumon... ).