La restauration des
cours d’eau, 2ème partie
Aujourd’hui, suite de notre série
d’articles concernant la restauration des cours d’eau.
Nous avons vu dans la première
partie ce qu’est un cours d’eau présentant un bon fonctionnement. Aujourd’hui
nous allons voir ce qu’est un cours d’eau « dégradé ». Bien entendu,
je ne vais parler que des dégradations physiques et non pas des dégradations
chimiques. Toutefois, les deux sont
parfois étroitement liées et une dégradation physique est bien souvent la cause
d’une dégradation de la qualité chimique.
Cet article sera bien plus une
leçon d’histoire qu’une approche de l’hydrobiologie. Les dégradations physiques découlent d'aménagements et de remaniements de cours d’eau par l'homme. La plupart datent d’un temps… que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître !
Et bien plus encore…
On considèrera qu'une dégradation est une modification par rapport au fonctionnement à l'état naturel.
Quelles sont les grands types de dégradations et quelles en sont les conséquences ?
1. Les types d'aménagement
Il
est difficile de dresser une liste exhaustive des aménagements qui ont pu être
réalisés. Il en existe de grandes catégories mais aussi une multitude d’aménagements
localisés, parfois effectués de manière très artisanale. Les plus courants sont
les suivants :
- Dragage :
approfondissement du lit
- Canalisation :
bétonnage des berges et parfois du fond
- Endiguement :
augmentation de la hauteur des berges pour éviter le débordement des eaux
- Rectification
du cours : recoupement des méandres, raccourcissement de la longueur du
cours d’eau.
- Recalibrage :
augmentation de la capacité du lit en modifiant sa profondeur et sa largeur.
- Barrage :
pour utiliser la force hydraulique ou pour stocker de l’eau
- Création
de chenaux : pour alimenter les moulins ou pour l’irrigation
Notons
que l’extraction des matériaux du lit, qui n’est pas un aménagement en soit, a
eu des conséquences directe sur la qualité physique des cours d’eau.
Les
objectifs, lors de ces aménagements, étaient alors jugés comme légitimes : protéger des inondations,
faciliter la navigation, alimenter en eau potable, créer de l’énergie…. Mais ils ont
longtemps été réalisés avec une connaissance très partielle des fonctionnements
hydrologique et écologique des systèmes fluviaux… Et pour cause, c’est au cours
des deux dernières décennies que les connaissances en la matière ont réellement
évolué.
2. L'histoire des aménagements
2.1. Remembrements
Comme
je le disais, les aménagements et modifications des cours d’eau sont parfois
très anciens. Dès l’occupation romaine un remembrement a été effectué afin de
maîtriser l’espace (pour établir une sorte de cadastre, pour mieux valoriser
les routes etc.) et pour réaliser les voies romaines.Le remembrement peut générer toute sorte d'aménagement tel que recalibrage, canalisation et rectification du cours.
On
observe aussi de fortes modifications
des cours d’eau dans le cadre de l’urbanisation :
Hypothèse d'un détournement de la
Meyne à Orange (Vaucluse) dans l'Antiquité
Les revues
historiques parlent aussi de grands remembrements au moyen âge puis en 1707 en
Bourgogne. Par la suite, ils se généralisent, avec le soutien des pouvoirs
publics. Plusieurs lois instaurent le remembrement au cours du XXème siècle avec une forte intensification de 1960 à 1980.
Environ 15 millions d'hectares ont été remembrés à ce jour en France.
2.2. Barrages
La
construction de barrages est une activité très ancienne : les premiers ouvrages
connus remontent à 5 000 ans et se situent au Proche-Orient. Elle n’a cessé de
se développer depuis. Au XXe siècle, les choses s’accélèrent et surtout la
hauteur des barrages qui est parfois pharaonique. Le dernier exemple en date
concerne la construction du plus grand barrage du monde, en Chine. Edifié sur le
fleuve Yangtzé, le barrage des trois gorges atteint une hauteur de 185 mètres
et mesure 2.305 mètres de long. Achevé en été 2012, son lac de retenue s’étend
sur 600 kilomètres !

Photo tirée de l'article du point concernant 3 gorges : http://www.lepoint.fr/actualites-monde/2008-05-15/le-barrage-des-trois-gorges-symbole-de-la-puissance-chinoise/924/0/245903
On recense à
l’heure actuelle sur notre planète près de 36 000 barrages de plus de 15 mètres
de haut, et l’on continue de construire quelque 500 barrages par an. Selon une
étude suédoise, en 1994, 77 % des volumes d’eau charriés par les 139
grands bassins fluviaux de l’hémisphère Nord transitaient par des barrages,
canaux ou dérivations. En France, on compte 522 barrages de plus de 15 mètres
de haut.
Le référentiel ouvrage compte à ce jour plus de 60 000 aménagements en cours d'eau (barrages, seuils etc).
2.3. Endiguement
Les premières preuves d'endiguement permettant d'éviter les inondations datent là encore de l'époque romaine. Nous connaissons tous des secteurs où les berges ont été surélevées (merlon) permettant de contenir les débordements.
Là je prendrais un exemple plus près de chez moi : La levée de la Loire. Les premières traces de cette levée date du 12ème siècle. Ensuite, au fur et à mesure de crues parfois très destructrices, elle a été élevée.
La levée de la Loire fait à présent plusieurs centaines de km (70 km dans le département du Maine et Loire).
2.4. Dragage
Durant la seconde moitié du XXe siècle,
la réalisation de grands projets d’équipement a nécessité l’emploi d’énormes
quantités de matériaux granulaires : des sables et des graviers utilisés pour
le terrassement ou la préparation des mortiers et bétons. Ceux-ci ont été
extraits du lit des rivières. L’exploitation a été intensive et certaines rivières se sont vues transformées
en de véritables carrières.
Dans le bassin de la Loire, par exemple, le volume des matériaux extraits des
cours d’eau atteignait 12 millions de tonnes par an à la fin des années 1970,
contre 150 000 tonnes vers 1860.
3.
Conséquences des aménagements
Là
encore, la liste n'est pas exhaustive et peut-être complétée mais voici une
première approche du types d'impacts fréquemment observés. Ces aménagements modifient de façon durable les composantes physiques des cours
d’eau :
- pente,
- vitesse du courant,
- substrats
- forme des berges,
- profondeur,
Ils
ont donc des répercussions sur le fonctionnement des écosystèmes
qui ne sont pas toujours prévisibles à long terme. En général ils induisent une
diminution de la diversité naturelle des habitats et des espèces présentes.
En
outre, l’enfoncement du lit d’un cours d’eau abaisse le niveau de sa nappe d'accompagnement. Les conséquences sont alors directes sur les
boisements de berges mais aussi globalement sur la ressource en eau pour les populations
et pour l’agriculture par exemple. Mais aussi une disparition des zones humides
à proximité.
La
modification discontinue et importante du débit induit une modification des
habitats. Elle crée des conditions de stress dommageables pour les
biocénoses aquatiques. Le fonctionnement intermittent assèche des surfaces
très importantes de frayères effectives de certaines espèces de poissons
(salmonidés surtout).
Les curages causent le plus
souvent des déficits de la charge solide en aval. Le cours d'eau ne peut alors
retrouver son équilibre qu'en modifiant sa pente, ce qui se concrétise par une
incision c'est à dire un surcreusement du lit.
Dans
le cadre de la Loire, avant la mise en place de la levée, les écrits anciens
décrivent la rivière comme une rivière à tresses. La plaine en rive droite de
la Loire n'était alors pas du tout habitée. La modification de la
morphodynamique de la rivière est aujourd'hui étonnante, on ne peut absolument
plus deviner à quoi elle ressemblait initialement. Mais surtout, le fait de contenir
les crues génère souvent des inondations plus importantes dans les
secteurs non protégés ou encore des catastrophes importantes lorsque tout le débit ne passe que dans une seule brèche. La vitesse de courant
est alors localement extrêmement forte .
Ci
- après une lithographie d'une brèche dans la Loire lors de la crue de 1856.
160 brèches avaient été dénombrées. L'impact terrible de ces brèches lors des
grandes crues n'a pourtant que conforté l'idée générale d'une nécessité des digues
...
Pour
ce qui est des dragages, les impacts directs sont l'augmentation de la
turbidité (dommageable aux poissons notamment) et un appauvrissement de
l'habitat. De plus ils ont un impact sur l'équilibre sédimentaire et le
transport solide. Explication avec la balance de Lane :
"Le principe de la
dynamique fluviale peut donc être représenté comme l’oscillation permanente de
l’aiguille d’une balance dont l’un des plateaux serait rempli de sédiments
grossiers (variable Qs), et l’autre d’eau (variable Q). Les quantités
respectives et les rapports de ces deux éléments étant extrêmement fluctuants
(à l’échelle de la journée, de l’année, du millier d’années), il s’ensuit un
ajustement permanent de la morphologie du cours d’eau, autour de conditions
moyennes, par le biais des processus d’érosion-dépôt." (Jean-René Malavoi et Jean Paul Bravard
« Éléments d’hydromorphologie fluviale").
Par conséquent, une
modification des sédiments peut engendrer une érosion plus forte dans
d'autres secteurs pour combler un déficit.
4.
Et les aménagements appellent les aménagements ...
En effet, parfois les conséquences d'un aménagement sont elles-même à l'origine de nouveaux aménagements. Les digues appellent les digues ... Sur l'Isère, de grands travaux de remembrements ont eu lieu en 1860, qui ont généré un relèvement du niveau des embouchures des canaux d’assainissement et la "nécessité" de rehausser encore les digues. L’endiguement généralisé de l’Isère et le rétrécissement de son cours à
une largeur de 100 mètres environ (contre près d’un Km auparavant !)
ont empêché progressivement la rivière de répandre dans la plaine les
matériaux charriés lors de ses crues. Le niveau du fond de son lit
s’est donc surélevé petit à petit, rendant les risques de débordement
de plus en plus importants, notamment à l’entrée de l’agglomération
grenobloise où la pente s’adoucit et où les matériaux se déposent donc
plus.
Pour enrayer l’engraissement du lit de l’Isère à l’entrée de Grenobloise, le méandre du Bois Français a été supprimé
en 1968. L’idée était d’accentuer la pente et donc les débits pour
éviter le dépôt de sédiments. Mais la coupure de la boucle du Bois
Français ainsi que les prélèvements de graviers utilisés pour la
construction ont entraîné un surcreusement du lit de l’Isère qui s’est
propagé vers l’amont. Il s’est traduit par une déstabilisation des
berges à l’origine d’un déchaussement d’ouvrages en place, notamment
deux ponts en 1979 et 1981. Le reportage ci après résume bien tout ça.
En conclusion :
Aujourd’hui, moins de 20 % des rivières européennes sont dans leur état
physique naturel.
Avec ce constat, est-il possible de restaurer et comment ? C'est la question que je traiterai dans le 3ème opus...