dimanche 6 janvier 2013

Livres anciens : les écrevisses au 19ème siècle !

Peut-être êtes vous familiarisés avec le principe des liseuses : vos livres au format numérique ? Pour certains c’est la fin de cette matière qui faisait l’essence d’un livre, pour d’autre la possibilité d’emmener avec soit une extraordinaire bibliothèque.

Pour moi qui ai adopté une liseuse il y a quelques mois, j’ai découvert hier  un aspect auquel je n’avais pas pensé… Certains livres anciens, totalement introuvables à l’achat ou même à la lecture dans des bibliothèques classiques, ont été numérisés.
C’est ainsi que je suis tombée par hasard sur ce livre :




Cet exemplaire se situe actuellement à la bibliothèque d’ Harvard et est disponible dans son intégralité dans la bibliothèque numérique de google… Et à présent dans une petite maison du Maine et Loire !

Paru en 1869, on peut ainsi lire dans la préface, à propos des écrevisses “Aucun écrivain n’a enseigné les moyens de l’acclimater dans les ruisseaux qui en sont dépourvus, d’en faciliter élevage et la reproduction par des méthodes artificielles, et de créer ainsi une abondante source de revenus pour les expérimentateurs“… Peut-être finalement cet ouvrage est-il tombé dans les mains des pisciculteurs qui ont introduits les écrevisses exotiques presque 100 ans plus tard …!!

En attendant, en 1869, l’écrivain ne recense que 2 espèces :
Dans nos fleuves, deux variétés d’Écrevisses bien distinctes l’une de l’autre : l’Écrevisse à pieds rouges (Astacus fluviatilis), et l’Écrevisse à pieds blancs que nous nommerons (Astacus fontinalis) par opposition à la première, parce que cette dernière fréquente des eaux plus vives et plus courantes que le pied-rouge. On a confondu jusqu’à ce jour ces deux espèces en une seule, prétendant que ces différences de coloration et de taille provenaient de la nature des eaux et des milieux où elles vivaient

Aujourd’hui les choses ont bien évolué quant aux connaissances génétiques de l’écrevisse et la classification par la même. Ainsi les noms latins ne sont plus les mêmes par exemple (Astacus astacus pour la pieds rouge et Austropotamobius pallipes pour la pieds blancs). Et bien entendu toutes les espèces exotiques - américaines notamment - ont fait leur apparition.

Et de manière amusante, les scientifiques de l’époque justifient leur recherche d’une manière plutôt cocasse …
“Pour nous, un buisson de belles Écrevisses, en même temps qu’il est l’ornement indispensable d’une table bien servie, est celui des plats qui fait trouver les vins meilleurs, et donne lieu par cela même aux plus gais propos.

Mais ce qui est vraiment passionnant et encore intéressant aujourd’hui, ce sont les données qui permettent de définir les habitats privilégiés en fonction des espèces :
Dans le cours de la Seine, depuis Montereau jus qu’aux environs de Rouen, on rencontre l’Écrevisse pieds-rouges ; et dans toutes les petites rivières qui viennent se jeter dans ce fleuve, soit en amont, soit en aval de Paris, on trouve le pieds-blancs ; le même fait se produit dans la plupart de nos autres cours d’eau. Ainsi, si nous suivons le cours du Rhône, nous voyons que vers sa source, dans le lac de Genève, on ne trouve que l’Écrevisse pieds- blancs; plus bas, à mi-chemin de Lyon, on rencontre les deux espèces, et passé cette dernière ville jusoie vers l’embouchure du fleuve, il n’y a que du pieds- rouges, sauf toutefois dans les nombreux affluents de ce grand cours d’eau, où l’on retrouve aussi la petite espèce.

De la pieds blancs à Paris, tout le monde trouverait cela bien plus risible  que les propos du chapitre précédent concernant le vin rouge, et chacun aujourd’hui penserait que l’auteur avait abusé de son breuvage …. Mais voilà, le constat est sans appel, il y a 150 ans l’écrevisse à pieds blancs étaient présente PARTOUT. Cette espèce que nous considérons aujourd’hui comme inféodée aux têtes de bassin versant et pour lesquelles on nous dit parfois que nos objectifs de préservations sont trop ambitieux lorsque l’on souhaite à minima conserver l’état des très petits cours d’eau … Cette même espèce devrait en fait être préservée dans des cours d’eau de la taille du Rhône à Genève. Bien sûr, nous ne pouvons pas prétendre aujourd’hui à son retour dans des cours d’eau de cette dimension, mais il semble bon de remettre les choses dans leur contexte.



La table des matières de ce petit livre est riche et quelques illustrations sont intégrées. Même le transport, les modes de conservation et l’empoissonnement sont exposées. Les préconisations sont toutefois plus souvent en rapport avec les “pieds rouges”, plus intéressantes commercialement. On apprend qu’une pisciculture existait chez le Marquis de Salve, sur les bords de l’Essonne, à 40 km de Paris, sur des plateaux tourbeux  …(oui oui des tourbières dans le département de l’Essonne…). Le marquis avait développé un formidable réseau de petits canaux, favorables à la reproduction des écrevisses à pieds rouges. Il effectuait aussi des expérimentations  de fécondations et d’éclosions artificielles. Compte tenu de la bonne qualité d’eau, il en profitait pour “éduquer” des truitelles dont le rendement commercial était intéressant.

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Mais ce qui est étonnant, c’est qu’à l’époque déjà, on parlait de protection de l’espèce:
Parfois les  causes de la raréfaction sont discutables
On dit que la présence d’anguilles dans les cours d’eaux était la cause d’une grande destruction d’Écrevisses ; nous ne pouvons pas le contester.” Cette pauvre anguille n’a pas toujours attirée que des faveurs auprès du public…

Mais parfois les pensées sont visionnaires
La plus grande cause de la disparition des Ecrevisses de nos cours d’eau est sans contredit la pêche imprévoyante qui en a été faite, puis ensuite le braconnage.
” Quand, songeant à la croissance lente de l’Ecrevisse, nous envisageons l’avenir, nous voyons que, malgré la protection officielle que la nouvelle loi sur la pêche lui a accordée, de longtemps encore on ne parviendra à on repeupler nos rivières.
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A ce stade, je précise que l’écrevisse est toujours écrite avec un E majuscule dans le texte. Peut-être un signe de l’importance accordée à cette espèce, reine des cours d’eau !
La conclusion qui date de 1869 je le rappelle est terrifiante…. Car c’était une conclusion avant même d’envisager l’arrivée des espèces exotiques, avant même d’imaginer les impacts des pollutions et autres modifications des rivières.

"Si des sociétés ne prennent pas sous leur patronage la protection et la multiplication des Ecrevisses, il y a à craindre qu’avant un demi-siècle il n’en existe plus en Europe."

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